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Pour SOS Addictions, "la guerre au cannabis est une mauvaise politique" (Slate.fr)

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Drogues et addictions comportementales

Pour SOS Addictions, "la guerre au cannabis est une mauvaise politique" (Slate.fr)

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Il est temps de développer une «politique de santé des addictions» en insistant sur la santé et les addictions plus que la politique, alerte le médecin interniste et addictologue William Lowenstein, président de SOS Addictions.

Un  article proposé par le Dr Lowenstein et publié sur Slate.fr

Les propos sur la «dépénalisation du cannabis» tenus par Jean-Marie Le Guen et la séquence politicomédiatique qui a suivi ont un goût particulièrement déplaisant de déjà-vu et entendu. Le médecin et secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement est l’un des rares connaisseurs politiques des addictions et des stratégies de réduction des risques. À peine avait-il fini de parler que certains exprimèrent des doutes, bien légitimes («Pourquoi maintenant, en pleine période loi Travail et discussions avec la jeunesse?»,«Ne serait-ce pas une mission commandée par le président?»). D’autres responsables politiques accoururent les éternels «je-suis-contre-et-je-vais-vous-dire-pourquoi-car-moi- je-sais-dans-ma-ville/dans-mon-quartier-etc.». Vinrent aussi les traditionnels arguments moraux assimilant la dépénalisation à une forme de péché, de saleté.
Dépassons ce Landerneau national, prenons un peu de distance.
La «guerre à la drogue» était une mauvaise politique. Tout le monde lui aurait pardonné si elle avait réussi. Or elle a échoué. Et comme jadis la prohibition de l’alcool (Chicago, Al Capone, Les Incorruptibles), la prohibition du cannabis a non seulement échoué dans ses objectifs de santé publique (baisse des consommations, prévention des méfaits physiques et psychiques) mais elle n’a cessé d’enrichir, directement, «Mafias sans frontières». Et ces mafias, en pérennisant leur rôle d’ANPE des pauvres, créent toujours plus d’insécurité publique et de trafics complexes (drogues, armes, terrorisme).
De Ciudad Juarez à Marseille, de la Colombie à l’Afrique de l’Ouest, du Moyen-Orient à l’Afghanistan, la «guerre à la drogue» déstabilise des quartiers, des villes, des pays et des régions du monde. Elle tue plus de personnes que la drogue elle-même! La morale est devenue immorale. Et les armes de destruction massive ne sont pas là où elles étaient dénoncées.

Répression politique

En dépit des conventions internationales qu’ils avaient impulsées (et imposées au monde entier), les États-Unis ont constaté l’échec (et surtout le coût délirant) de «leur guerre». Ils ont basculé. Depuis 2012, quatre États américains (Colorado, État de Washington, Oregon et Alaska) ainsi que le District de Columbia ont légalisé la production, le commerce, la possession et la consommation récréative de cannabis pour les adultes. Ils mettent en place une régulation du marché de la substance psychoactive la plus utilisée au monde… après le tabac et l’alcool. L’État de Californie devra se prononcer très prochainement (par référendum), l’Uruguay l’a déjà fait (pour des raisons sécuritaires) par voie parlementaire et bientôt, dixit son jeune Premier ministre, Justin Trudeau, le Canada sera le premiers pays du G7 à tenter de pacifier les usages de cannabis pour mieux en réduire les dommages sanitaires et sociaux.
En Europe, toléré dans certains pays, interdit dans d’autres, l’usage de cannabis est régi par des législations très variées. D’une part, les conventions internationales de 1961 et de 1988, ratifiées par les Européens, imposent d’incriminer la production, le trafic, la cession et la détention de stupéfiants. En revanche, d’autre part, l’obligation d’incriminer l’usage n’est prévue par aucune norme de droit international. Ainsi donc la répression de l’usage est un choix «purement» politique.
Ce n’est pas parce que la pénalisation a échoué à protéger les personnes et notre société qu’il suffit de dépénaliser pour construire une réelle politique de santé du cannabis

La tolérance vis-à-vis de l’usage a été retenue par de nombreux pays européens: c’est le cas de quinze pays de l’UE (Pays-Bas –avec une tolérance également pour la vente régulée de petites quantités de cannabis–, Belgique, Allemagne, Danemark, Italie, Autriche, Royaume-Uni, Irlande, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Roumanie, Croatie, Slovaquie et Malte). Attribuons une mention «spéciale cohérence» pour la Roumanie: l’usage de cannabis demeure prohibé… mais aucune peine n’est prévue pour le sanctionner.
Dans sept pays européens (Espagne, Portugal, Luxembourg, Bulgarie, Estonie, Lettonie et Lituanie), l’usage de cannabis constitue une infraction administrative (et non pénale). Quant à la France, elle reste, avec six autres pays (Suède, Norvège, Finlande, Hongrie, Grèce et Chypre), dans la pénalisation: l’usage de «stupéfiants» (un terme de la loi du 31 décembre 1970) est passible d’une peine d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3.750 euros (article L 3421-1 du code de la Santé publique). Précisons aux plus inquiets que cette «rigidité répressive» française n’évite pas aux Français d’être sur le podium des plus gros consommateurs européens. Bien au contraire.

Train-train politicien

Soyons clair. Il ne faut pas demander à la loi ce qu’elle ne peut pas donner et il faut demander aux politiques d’arrêter de jouer. Ce n’est pas parce que la pénalisation a échoué à protéger les personnes et notre société qu’il suffit de dépénaliser pour construire une réelle politique de santé du cannabis dans notre pays. La loi ne suffit pas à changer des comportements. En revanche, nous savons ce qui serait bienvenu: arrêter de maintenir une politique de santé contreproductive; ne plus enrichir les réseaux mafieux; ne plus emboliser les policiers et les magistrats avec des dizaines de milliers de dossiers «pour rien»; ne plus dépenser des énergies précieuses et des centaines de millions d’euros inutilement «contre le cannabis» à une époque où notre pays est déclaré en guerre contre le terrorisme. C’est ce programme-socle à partir duquel nous pourrions développer une stratégie globale vis-à-vis des addictions.
Nous avons su réussir de grands chantiers de santé publique complexes comme la lutte contre l’épidémie de sida, avec un peu d’argent, beaucoup de clarté éthique et de détermination médicale, la mobilisation de tous et une implication sérieuse de l’ensemble des partis politiques de l’époque (sauf un, évidemment). Nous sommes parvenus à diminuer par dix le nombre de morts sur les routes. Et nous serions devenus incapables, en France, de diminuer la consommation de cannabis?!! Ce serait là un trop gros défi de santé publique national? La vérité, la réalité, est que, dans «politique de santé des addictions», nous n’entendons que très faiblement «santé» et «addictions». Seul«politique» résonne. Là aussi, train-train du petit jeu politique politicien.
C’est infiniment triste. Ce n’est pas une raison pour totalement désespérer. Nous avons, en ce printemps à venir de 2016, quelques raisons de nourrir un pâle espoir. Tel le fantôme de Rigoletto, une lueur a éclairé notre pessimisme politique quand l’inénarrable professeur Bernard Debré, grand chirurgien urologue et tout aussi grand homme politique, a évoqué la possibilité d’une contravention, synonyme de dépénalisation. La traditionnelle fin de récréation sur ce sujet était traditionnellement sifflée par les Premiers ministres. Or, cette fois, le sifflet a été confié à Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture. Les plus allumés ne manqueront pas d’y voir un signal fort en faveur de l’autoculture du cannabis. Il y a, enfin, la perspective de foisonnement des candidats pour les diverses «primaires», un moment où les politiques acceptent d’évoquer ce qu’ils ne font jamais avant et après: parler, débattre de santé publique. C’est-à-dire, en France plus que n’importe où ailleurs, d’addictions.