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2014. Le cannabis est-il toujours une drogue douce ?

Journalisme et Santé Publique

2014. Le cannabis est-il toujours une drogue douce ?

Toutes celles et ceux qui s’intéressent au cannabis devraient être, demain mardi 25 mars, à deux pas du Flore et des Deux Magots. Rue Bonaparte, un peu avant la Seine, le vieil  amphithéâtre de l’Académie de médecine leur tendra les bras. Cannabis au menu du jour. Sous toutes ses formes et coutures avec quelques-uns des meilleurs spécialistes du psychotrope majeur du chanvre indien et des ses copies synthétiques, non garanties par le gouvernement. (1)
Baclofène et e-cig
On y revisitera ses classiques et on y fera le point sur les nouveautés. Ce sera aussi l’occasion de réfléchir à ce durable paradoxe qui veut que l’on observe un courant d’opinion réclamer aux pouvoirs publics la libre consommation de ce groupe de psychotropes à une époque où les mêmes pouvoirs publics peinent à prendre en compte (euphémisme) les nouvelles formes de libération des assuétudes majeures à l’alcool et au tabac via, notamment, le baclofène et la cigarette électronique.
Doses multipliées par quatre 
Rue Bonaparte on traitera des relations entre la neurobiologie des endocannabinoïdes et celle du tétrahydrocannabinol du chanvre indien. On procèdera à la dissection du delta-9-tétrahydrocannabinol (THC)  dont le mode de consommation le plus fréquent est l’inhalation. Au risque de choquer on redira que la teneur moyenne en THC dans la résine a été multipliée par quatre au cours des vingt dernières années, passant de 4 % à 16 % – ce qui ne peut pas ne pas avoir d’impact sur la pharmacocinétique et sur la pharmacologie de cette drogue.
Séquestrations dans les graisses
« Après une cigarette contenant 3,55 % de THC, le pic plasmatique obtenu environ dix minutes après l’inhalation est voisin de 160 ng/mL, précisera Jean-Pierre Goullé.. La décroissance sanguine du THC est très rapide, de type multiphasique, contemporaine d’une augmentation de la concentration tissulaire. C’est elle qui est responsable des effets pharmacologiques. Le THC subit alors une séquestration intense dans les graisses corporelles, principal site de stockage. Cette pharmacocinétique particulière explique l’absence de lien étroit entre la concentration sanguine en principe actif et les effets engendrés, contrairement à ce que l’on observe pour l’éthanol. »
Conduite automobile
Ce même THC donne ensuite naissance à deux principaux métabolites, le11-OH-THC (seul métabolite actif) et le THC-COOH dont l’élimination dans les selles et dans les urines se prolonge plusieurs semaines. D’où il résulte que le cannabis est la drogue illicite la plus fréquemment rencontrée par les conducteurs de voitures automobiles. Son usage récent multiplie au moins par deux le risque d’être responsable d’un accident de la circulation. Quant à la  consommation simultanée d’alcool elle multiplie ce risque par 14. Depuis 2009 une nouvelle classe est apparue sur le marché des drogues, celle des cannabinoïdes de synthèse.
Mémoire
Et puis cette nouvelle donne, que les consommateurs adultes, hédonistes militants ou pas, refusent généralement d’entendre : les études démontrant que le Δ-9-THC entraîne des troubles de l’attention, de la mémoire et des fonctions exécutives. Et que ces troubles  sont liés à la dose, à la fréquence, à la durée d’exposition et à l’âge des premières consommations.
« Ils peuvent disparaître après sevrage, mais des anomalies durables s’observent chez les sujets ayant débuté leur consommation avant l’âge de 15 ans, dira Alain Dervaux. La fréquence de la dépendance au cannabis, caractérisée essentiellement par le craving, la perte de contrôle et le retentissement important sur la vie familiale, professionnelle et sociale est d’environ 1 % en population générale sur la vie entière.»
Troubles psychotiques
Neuf études longitudinales ont retrouvé que les sujets qui avaient fumé du cannabis avaient environ deux fois plus de risque de présenter ultérieurement des troubles psychotiques que les sujets abstinents. Le risque, dose-dépendant, est plus élevé lorsque la consommation de cannabis a débuté avant l’âge de 15 ans et chez les sujets qui ont des antécédents familiaux de troubles psychotiques.
Flore
Pourquoi les adolescents de nos contrées sont-ils attirés par cette drogue interdite ? Comment les adultes, responsables pédagogiques ni sectaires ni prosélytes, doivent-ils leur en parler ? Comment plus généralement leur parler des plaisirs autorisés et de ceux qui le sont moins On parlait de tout ceci jadis au Flore et en l’église Saint-Germain-des-Prés. Aujourd’hui la table est ouverte au 16 rue Bonaparte.
(1) Jean Constantin, Richard Delorme (pédopsychiatrie, hôpital Robert Debré, Paris), Jean-Pierre Goullé,  (laboratoire de toxicologie, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Rouen), Alain Dervaux (Service d’addictologie Moreau de Tours, Centre Hospitalier Ste-Anne, Paris)  – Conclusions par le Pr Jean-Pierre Olié.